jeudi 22 février 2007

LES INTELLECTUELS DANS LES ELECTIONS FRANCAISES

Un évènement médiatisé des dernières semaines: le ralliement à Sarkozy de certains intellectuels de gauche

HISTOIRE

L'intellectuel a toujours eu un rôle important dans la vie de la société , surtout d'ailleurs dans la société de cour, voire dans l'entourage immédiat du Prince.

Ce n'est pas une exclusivité française : philosophes et universitaires ont eu, au début du XIX° siècle un grand rôle dans la formation du romantisme national allemand face à l'occupant napoléonien. L'Espagne a beaucoup médité sur la crise de 1898 et sur la difficulté de l'union républicaine, l'Angleterre sur la fin de sa domination mondiale etc...L'Union soviétique a eu ses penseurs officiels et ses dissidents (Sakharov, Soljenitsyne). Les Etats-Unis ont navigué entre l'héritage démocrate de Roosevelt et le réalisme républicain de Kissinger...ou GW.Bush. La plupart des gouvernants se sont méfiés du peuple et ont cherché à l'encadrer par les idées.


On date traditionnellement l'origine des intellectuels de l'Afffaire Dreyfus , avec le "J'accuse" de Emile Zola. Mais c'est négliger, en amont les philosophes positivistes et les Saint-Simoniens, le Siècle des Lumières, les pensées du Grand Siècle autour de la monarchie absolue, les humanistes et réformateurs religieux du XVI° siècle, les clercs fondateurs de multinationales religieuses (bénédictins) ou pourfendeurs d'hérésies (Dominicains, jesuites) et en tant que tels, conseillers du monarque (Saint Eloi, les grands cardinaux de l'absolutisme puis les prêtres défroqués comme Sieyès ou Talleyrand) ...

Plus près de nous le débat pacifiste (Romain Rolland, Dorgelès) ou nationaliste (Péguy, Maurras, Barrès) autour de la guerre de 1914 puis de l'entre-deux guerres. La II° Guerre Mondiale verse nombre d'écrivains dans la Collaboration, d'autres dans la Resistance, éventuellement accompagnée d'une adhésion au communisme bolchevique.L'après guerre s'anime sur le débat du communisme et des libertés (Sartre contre Camus et contre les "hussards"), prolongé par la décolonisation et surtout la Guerre d'Algérie. Des intellectuels passent de la sensibilité de gauche à la droite nationale (Malraux)

Tout comme les hommes politiques, les intellectuels proviennent de diverses sources en couches successives: guerriers, magistrats, financiers, universitaires. A partir du XIX° siècle les grandes écoles, Polytechnique, la Rue d'Ulm en produisent énormément.D'autres catégories sociales montent occasionnellement sur le haut de la scène: avocats et médecins (souvent francs-maçons) de la III° republique, officiers de marine sous Vichy. Les grands militaires à quatre ou cinq étoiles (Leclerc, de Lattre, Giraud, d'Argenlieu, d'autres encore) s'effacent devant de Gaulle ou sont effacés par lui après la II° Guerre Mondiale, puis à l'occasion de la guerre d'Algérie (le quarteron de généraux félons...)

AUJOURD'HUI

Le temps des enarques, intellectuels au moins par la durée des études, est venu, après 1958, quand la quasi-disparition du régime des partis a éliminé les politiciens professionnels au profit des ministres techniciens . Ils sont apparus en politique après le départ de de Gaulle; avec Valery Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, Jean Deniau . Plus tard autour de Mitterrand , une vague d'enarques post-quarante huitards apparait soit aux postes de gouvernements : Rocard, Jospin, Chevènement, Aubry, Guigou, Royal, soit dans les cabinets ministériels.

Ce ne sont pas forcément des intellectuels, puisqu'ils exercent un pouvoir à partir d'une compétence technique ou d'un rôle d'apparatchik. Mais leur nombre s'est accru, notamment du fait de l'alternance en cohabitation, de 1981 à 2002, qui obligeait à entretenir deux équipes de gouvernants potentiels.Parmi les enarques non-gouvernants (pour le moment?) , on compte quelques intellectuels en petit nombre et d'impact assez modeste.

Dans les trente dernières années (les Trente Piteuses après les Trente Glorieuses) la famille des intellectuels s'est bien élargie et pas seulement de quelques dizaines d'enarques très apparents.

Avec la hausse du niveau d'éducation, le nombre de diplômés d'enseignement supérieur - donc d'intellectuels potentiels- a prodigieusement augmenté, notamment dans les sciences humaines et sociales sans grands débouchés . A défaut d'une occupation professionnelle, des masses d'historiens, psychologues, sociologues, philosophes, politologues etc..s'engagent dans le militantisme en compensation de leurs petits boulots.Des formations nouvelles (agrégés de gestion, agrégés de sciences sociales...) apportent aujourd'hui des éclairages différents


Les romanciers ont une pratique ancienne de l'intervention politique. Plus nouveau, avec la société de divertissement, les artistes s'engagent en politique et avec eux, les intermittents du spectacle, lanceurs d'albums, chanteurs de music-hall, candidats à la Star academy, rappeurs, taggeurs. Disposant d'une notoriété acquise selon d'autres méthodes: leurs capacités artistiques bien sûr, mais aussi les artifices du show business, ils servent de caution politique aux puissants avec qui ils sont photographiés.

Même schéma pour les grands sportifs (surtout pour les sports à grand spectacle ou ceux qui récoltent des médailles olympiques) récupérés pour la bonne cause: petites pièces jaunes, soutien à diverses minorités, amitiés du Prince...

Cette intrusion élargie de la société civile dans le champ politique est conforme à l'idée même d'une démocratie...participative, au moins autant que ce l'était au temps de la simple démocratie représentative (depuis la III° république) et au cours de la lutte contre les absolutismes.Les débats radio-diffusés ou télévisés font appel à des publics de commentateurs non-professionnels. Le web et surtout les blogs, les communautés en ligne renforcent une mediatisation déjà bien avancée. Les intellectuels n'ont plus le monopole pas plus que les anciens orateurs des réunions publiques.

C'est aussi le signe de la diversification des questions politiques où le pouvoir est légitimement interpellé sur des questions gestionnaires non négligeables, au-delà de la sphère régalienne : démographie, immigration, santé publique, pauvreté, logement, écologie ...ceci jusitifie largement la montée des intellectuels experts de quelque chose mais aussi des vulgarisateurs (quelques granfds journaliste de persse écrite ou parlée ). Mais le journaliste lui-même se veut une star voire un guide spirituel. Qui n' a pas été agacé dans ces interviews d'experts qualifiés et ces colloques où on a droit à deux minutes d'expert pour vingt-huit minutes de journaliste...simplement bavard.

D'une manière générale, les "intellectuels" ont contribué à formuler les concepts essentiels de la vie politique et sociale. Ils l'ont fait contre (notamment XVIII° siècle) et, le plus souvent avec, les détenteurs du pouvoir : monarques (Louis XIV, Bonaparte, Napoleon III) et grands ministres (Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert, Turgot...). Leur rôle dans la création des idées et valeurs n'est pas négligeable ; leur "rentatibilité" effective, du moins au point de vue des gouvernants.

Ont-ils été de droite -ordre, tradition, responsabilité individuelle- ou plus souvent de gauche -égalité, fraternité, progrès-, ce qui est plus facile quand on n'a aucun pouvoir ?

Les passages de la gauche vers la droite ont été nombreux dans l'histoire intellectuelle comme dans l'histoire politique (et peut-être aussi dans la vie humaine: le révolutionnaire de vingt ans fabrique un honorable conservateur retraité) . On a semble-t-il, un nouvel exemple de ce glissement autour des elections de 2007.

La presse fait grand cas du ralliement à Sarkozy d'un certain nombre de "nouveaux philosophes" .
Evènement reél, imaginaire? probablement relatif comme bien des choses. Important, futile ? probablement relatif aussi comme tout ce qui relève de la communication.

S'il n'était, lui aussi victime d'un désir de notoriété, l'intellectuel devrait s'en tenir à son vrai rôle. Celui que Malraux exprime par la bouche du Commandante Garcia (un... ethnologue, combattant pour la republique espagnole) "Le rôle d'un intellectuel n'est pas d'approuver mais de décrire et comprendre"
Ce n'est sans doute qu'un beau rêve de romancier

Voir TABLE DE LA FRANCE

TABLE DES IDEES

Guerre des idees

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